Les deux rois. (Shinrei- terminé)

Sugizo se trouvait dans la salle des profs, un lieu confortable, plein de fauteuils profonds avec une machine à café et un bon feu dans la cheminée parce que le temps était toujours un peu frisquet.

Une tasse de café dans la main, le journal dans l'autre, il se détendait de sa longue journée de cours avant d'aller dîner avec Uruha. Il lisait la rubrique international du journal et il y avait un article sur la situation dans son pays. Le PIB avait chuté, la famine menaçait plusieurs provinces et Garvin s'était taillé une sale réputation auprès des autres Etats.
On redoutait même qu'il veuille attaquer ses voisins et le peuple commençait à gronder sous la représsion qui s'endurcissait.

Sugizo était très inquiet et se sentait encore plus mal d'être parti. Que deviendrait Samoel si une guerre civile éclatait ? Il avait beau se dire qu'il n'avait plus d'avenir là-bas, sa conscience le tourmentait.

( Je pars un moment, j'essaierai de revenir avant que tu partes.)

Le roi disparu de Samoel était professeur dans cette école...
Oui, c'était une information qu'il lui était parvenue aux oreilles alors qu'il était en pause dans la salle des professeurs.
A l'époque où il avait repris les rennes du pouvoir, un traité de paix été instauré entre leurs deux pays.
Et quelques semaines après, le nouveau dirigeant de Samoel refusait tout échange entre eux.
Ce fait aurait du l'alarmer, mais il avait été bien trop occupé par le retour inattendu de Shun.
Bref... Quelque peu perturbé par cette révélation, Shinrei avait décidé d'engager le dialogue.
Après tout, il n'avait jamais osé entretenir de réelles discussions avec ses autres collègues... C'était l'occasion.
Priant donc intérieurement pour que son frère n'en fasse pas qu'à sa tête, le jeune homme poussa la porte de la salle et tomba justement sur celui qu'il cherchait.

- Bonjour... Sugizo ?

Sugizo leva la tête de son journal et sourit aimablement à son collègue :

- Bonjour Shinrei, comment allez -vous ?

Il n'avait jamais beaucoup causé avec le prof de philo et pourtant il s'y connaissait un peu en la matière lui aussi. Mais il n'était pas très sociable, comme pas mal de gens dans l'école comme il avait pu le remarquer.

- Je... Je vais bien, merci. Et vous ?

Bon, comment allait-il aborder le sujet maintenant ?

Laisse donc ce prince fuyard où il est. A quoi cela t'avancera t-il de lui parler de ça ?

Shinrei ferma un instant les yeux en se mordant la lèvre inférieure, puis reporta son attention sur Sugizo.

- Je... Je voulais vous poser une question... Une question indiscrète. Puis-je ?

(Je vais bosser ! Bisoux !)

Shinrei avait l'air bizarre et embarassé.
Qu'était-il venu lui dire ?

Je... Je voulais vous poser une question... Une question indiscrète. Puis-je ?

- Eh bien posez-là toujours, dit Sugizo en riant. On verra si c'est vraiment indiscret ! ^^

Pourvu qu'il ne me parle pas d'Uruha !

Heureusement que Sugizo était d'un naturel agréable.
Shinrei s'avança donc un peu plus et prit place dans un fauteuil en face de lui.

- Ce ne sont peut-être que des rumeurs et, je ne veux surtout pas vous indisposer, alors ne vous sentez pas obligé de me répondre mais...

Il prit une rapide inspiration et demanda enfin :

- Êtes-vous bien le prince héritier disparu du royaume de Samoel ?

Sugizo se tendit presque par réflexe. Il n'y avait que quatre personnes à l'école qui savait qui il était. Comment Shinrei avait-il pu apprendre ça ?
Pendant un instant, il eut envie de démentir mais sa propre attitude lui fit honte. Pourquoi fuir encore ce qu'il était ? N'avait-il pas déjà été suffisamment lâche comme ça ? Qu'est-ce que ça pouvait bien faire après tout ?

Alors il répondit :

- Oui c'est bien moi. Je ne vous cache pas que je suis surpris, comment l'avez-vous appris ? Ne le dites à personne parce que je préfère que mes élèves ne voient en moi qu'un simple professeur.

- Non, ne vous inquiétez pas ! Je suis juste tombé par hasard sur le professeur Toshi et le directeur qui en parlaient ensemble.

Il laissa un bref silence, puis resserra ses mains entre elles.

- Je... Ma situation n'est pas si différente de la votre... Alors, je me suis dis que ce serait bien de me présenter.

Un faible sourire orna ses lèvres, et il dit :

- Je m'appelle Kiriya Shinrei et je suis le prince héritier du royaume d'Arkorath.

Sugizo, stupéfait, se leva. Reflexe de politesse envers un homme de la même condition que lui.

- Quelle incroyable surprise...Je connais votre royaume et je peux même vous dire que je vous ai vu quand vous étiez enfant. Votre père était venu en visite diplomatique à Samoel et vous étiez avec votre frère.

Il se rappela vite de ce qu'il avait su à propos d'Arkorath.

- Il me semble que l'on a dit que vous étiez mort...je suppose qu'il vous est arrivé d'aussi sombres choses qu'à moi pour que je vous retrouve ici.

Shinrei pensa tout d'abord l'avoir offensé, mais ses paroles le rassurèrent très vite.

- Oui... Comme vous dites.

Son regard se planta un moment sur le sol, son esprit repassant rapidement toutes les mésaventures qu'il avait vécu jusqu'à son arrivée ici.

- Mais vous aussi... On vous a fait passé pour mort. A votre disparition, un émissaire de votre pays est venu me rendre visite et m'a transmit un message peu agréable... Le nouveau roi de Samoel voulait rompre l'alliance que mon père et le votre avait instauré. J'ai eu tellement de soucis à ce moment là que je n'ai pas cherché plus loin... Je m'en veux à présent.

Peut-être que s'il y avait apporté un peu plus d'intérêt, les choses ne se seraient pas déroulées ainsi...

Sugizo lui fit signe de s'asseoir dans le fauteuil en face du sien :

- Venez asseyez-vous, je crois que nous avons beaucoup de choses à nous raconter.

Il prit place dans le sien et reprit :

- Vous n'avez pas à vous reprocher quoi que ce soit. Vous êtes le fils cadet de votre famille et vous aviez sûrement d'autres chats à fouetter. Le nouveau roi de mon pays est mon oncle Garvin et vous vous imaginez bien qu'il n'est pas arrivé là de mon plein gré. Il a manipulé le peuple pour lui faire croire que j'allais mener le pays à la ruine. Il y a eut une révolte, j'ai failli être assassiné et il m'a fallu fuir, sans soutien pendant que Garvin me volait le trône.
Qu'est-ce que c'est que cette histoire d'alliance rompue ? Aurait-il l'intention de déclarer la guerre à Arkhorath ?

Shinrei prit place en face de lui et écouta attentivement ses paroles.
Alors le nouveau roi de Samoel n'était ni plus ni moins que l'oncle de Sugizo ?!
Déclarer la guerre...

- Quand je suis monté sur le trône, mon père avait déjà signé pas mal de traité de paix. Arkorath était un royaume prospère à cette époque. Le royaume de Samoel était l'un de nos plus grand allié... Mais Arkorath n'est pas le seul touché. C'est comme si Garvin avait voulu s'isoler. Peut-être par peur que quelqu'un découvre son petit manège ? Ce que je peux vous affirmer, c'est que votre royaume n'accepte plus aucun échange avec les autres contrées, et que la guerre était déjà prête à éclater lors de mon enlèvement.

Oui... Il aurait du partir en guerre cette année là...

Garvin était en train d'isoler le royaume. A ce rythme-là, les autres nations allaient finir par se méfier et lui tomber dessus. Et Sugizo était bien placé pour savoir que son pays n'était pas en état de soutenir une guerre parce son armée avait été réduite depuis que de nombreuses paix avaient été signées. A moins que...

- Ce n'est pas normal....marmonna-t-il. Même les journalistes écrivent qu'ils ont beaucoup de mal à avoir certaines informations. La presse de là-bas est contrôlée. Je suis sûr qu'il est en train de trafiquer quelque chose.

Il serra les poings :

- Bon sang quel imbécile j'ai été !! Si seulement...si seulement je pouvais y retourner et arranger les choses !

Trafiquer quelque chose ? Oui, c'était même certain.

Laisse-moi lui parler.

- Non. Tu n'as pas à intervenir. Marmonna Shinrei entre ses dents.

Il faut bien que quelqu'un le résonne, et tu es loin de vouloir le faire.

- On ne peut rien faire non plus je te signale. Nous ne sommes plus les bienvenues à Arkorath ! S'impatienta t-il.

Il redressa lentement la tête vers son interlocuteur, conscient de s'être certainement fait passer pour un fou.

- Ex... Excusez-moi...

Tsss... Laisse-moi faire.

Le prince prit alors sa tête entre ses mains, fermant les yeux pour tenter de garder le contrôle.

- N... Non ! Shun !

Sugizo se demandait sérieusement ce qui se passait. Shinrei parlait tout seul ?!

Shun ?

- Shinrei ? Mais qu'est-ce qui vous arrive ?!

A peine Sugizo eut-il posé la question que Shun prit totalement le contrôle.

- Ah ! Voilà qui est mieux.

Ses deux iris se plantèrent dans ceux de son vis à vis, et il sourit.

- Enchanté, souverain déchu de Samoel ! Je me nomme Kiriya Shun.

Shun !

- Silence. Laisse-moi lui parler.

Il reporta son attention sur Sugizo, et dit :

- Il est plus que temps de reprendre les rennes de votre royaume. Ne pensez-vous pas ?

Sugizo se leva à demi de son fauteuil, estomaqué et sur la défensive.

Je me nomme Kiriya Shun.

Mais alors c'était...

- Le frère aîné...

Il est plus que temps de reprendre les rennes de votre royaume. Ne pensez-vous pas ?

Il se leva tout à fait mais resta là, tendu et méfiant :

- Qu'est-ce que c'est ? Comment pouvez-vous être les deux à la fois ? Qu'avez-fait à votre frère répondez !

Shun eut un petit rire amusé, puis se leva à son tour.

- Calmez-vous mon bon roi. Mon frère se porte mieux que quiconque et la situation dans laquelle nous retrouvons tout les deux est d'ailleurs du à son insouciance.

Shun ! Laisse-moi lui expliquer !

- Non, non... Je m'en occupe.

Un soupir franchit ses lèvres, et il s'avança jusqu'à une fenêtre.

- Vous avez peut-être eu vent de cette histoire avant de vous enfuir de Samoel... Kiriya Shun, héritier du royaume d'Arkorath disparaît suite à l'annonce de son couronnement.

Un sourire vient orner ses lèvres et il se retourna pour faire face à Sugizo.

- Je ne voulais pas de ce titre, alors je suis parti, et c'est mon frère qui a succédé à notre père. Je m'en serais tenu là si père et mère n'avaient pas envoyé des soldats à ma recherche... Tout ça m'a profondément agacé et je suis revenu le leur faire payer.

Il laissa un bref silence, comme pour se remémorer cet instant.

- Mais la suite fut bien différente de ce que j'avais prévu. Mon frère est né avec le même don pour la magie que notre mère... Le prêtre lui a dit de me jeter je ne sais plus quel sort, mais ça na pas fonctionné correctement. Et voilà le résultat ! Un corps pour deux âmes ! N'est-ce pas amusant ?

Sugizo n'arrivait pas à déterminer si Shun était dangereux ou pas. En tout cas, il n'appréciait pas du tout son ton ni sa façon de parler. Il percevait sans mal son sarcasme lorsqu'il lui parlait de sa "fuite". Il le prenait pour un lâche c'était manifeste et ça lui faisait d'autant plus mal qu'il savait que c'était vrai.

Mais il avait une autre question à régler d'abord :

- Je trouve ça bien plus horrible qu'amusant. Et vous semblez louche. Je veux parler à Shun. Si ça se trouve, vous le contrôlez sans son accord ! Si vous n'êtes pas un scélérat, vous le laisserez revenir.

Un scélérat ? Tsss... Il ne manquait pas d'air celui-là !
Un sourire en coin, Shun ferma les yeux, laissant son frère reprendre le contrôle.
Shinrei s'inclina alors brusquement.

- Je suis vraiment navré. Veuillez-me pardonner cet affront, mon frère est d'une telle vulgarité ! Je... J'aurais du vous faire part de ce problème plus tôt.

Il ne savait plus où se mettre pour le coup, et gardait bien ses yeux rivés sur le sol.
Shun le faisait vraiment passer pour n'importe quoi !

La différence dans les intonations, l'air du visage et le comportement était telle que Sugizo ne put soupçonner qu'il s'agissait toujours de Shun en train de jouer la comédie.

Il soupira et dit :

- Apparemment, vous ne semblez pas traumatisé. Mais je ne me serais jamais douté d'un drame pareil. Qu'est devenu le corps de votre frère ? N'y a-t-il aucun moyen d'arranger cette situation ?

Le corps de son frère ?

- Le corps de Shun est gardé à Arkorath.

Une vague de tristesse le submergea soudainement.
Il ne savait pas vraiment ce que devenait sa cité... Ni son fils d'ailleurs.

- Il y a certainement quelque chose à faire, mais moi non plus, je n'ai plus ma place à Arkorath. On ne voulait plus d'un roi avec deux âmes... Et c'est mon fils qui doit gouverner à l'heure qu'il est...

- Oh vous avez un fils ?

Sugizo soupira :

- Je vois...deux rois exilés qui se retrouvent professeurs...c'est quand même un peu pathétique.

Sugizo se rassit et regarda le journal qu'il lisait d'un air songeur :

- Je dois y retourner. Je tuerai Garvin s'il le faut mais je dois l'empêcher de faire sombrer Samoel. Sans compter qu'il risque de déclencher une guerre, peut-être même avec votre pays. Mais si le peuple ne me soutient toujours pas, cela ne mènera à rien et je me ferais tuer bêtement.

Et Uruha dans tout ça ?

Je n'aurais jamais dû me déclarer. Autrefois rien ne me retenait et j'aurais déjà foncé tête baissée. Mais maintenant...

Et pourtant, la partie "raison" de sa conscience lui disait que le devoir compte plus que les sentiments quand on a des responsabilités comme les siennes.

( Ouais je vais pas le faire partir maintenant, je veux faire la tentative d'assassinat ! ^^)

( Oui je sais. ^^ )

Pathétique oui...

- Seul, vous n'y arriverez pas. Laissez-moi vous aider.

Il hésita un instant, puis lâcha :

- Mon frère n'est pas très diplomatique, mais il a réussi à s'infiltrer dans Arkorath et à assassiner nos parents... C'est malheureux à dire, mais il est doué pour renverser les situations. Si je parviens à reprendre le pouvoir, mon soutient vous sera nécessaire. Nous devons faire pression sur votre oncle, c'est le seul moyen de le déstabiliser.

Et une fois trop occupé à surveiller ses frontières, ils l'attaqueraient de l'intérieur.

- Qu'en pensez-vous ?

De l'aide ?

Sugizo ne s'y attendait pas.

- Vous feriez ça ?

Il se passa la main sur le visage. Il commençait presque à y croire et ça le destabilisait.

- Garvin est tellement mauvais qu'il y a peut-être des gens qui me regrettent. Si seulement j'avais un moyen d'aller sonder le terrain pour savoir ce que pensent les gens. Ensuite, j'irai renverser Garvin sans plus attendre. Mais avant tout êtes-vous toujours en contact avec votre famille ? Vous devez leur expliquer la situation et leur dire de ne surtout pas répondre aux provocations de Samoel.